15/11/2011

Deux lignes de plus.






On y est. Ça m'a vraiment fait drôle, quand Maryline, ma productrice, m'a demandé de rajouter deux lignes sur mon CV. Il y avait eu l'été, il y avait eu Arles, Marseille et l'Italie, l'anniversaire de mon père, la fête de la musique, les pic-nics aux buttes chaumont. Paris au mois d'août, la côte amalfitaine. Et le temps suspendu. Après le jury en juin, j'ai du me remettre à l'écriture. Approfondir ce que je ne faisais qu'évoquer, creuser les pistes. J'ai repris le dossier, fouillé dans les photos, rédigé, fait relire, rédigé à nouveau. Il fallait que mes intentions soient plus claires, qu'on sente la singularité du projet, que les gens aient envie de me suivre. Il fallait qu'avec mes mots et quelques images les gens puissent sentir le film. Ensuite on l'a envoyé à un nouveau jury. Pour qu'il puisse être produit. Pour qu'il puisse être réalisé. Pour avoir un ingé son, un chef opérateur, une monteuse. Des billets de train, de l'essence, de la peinture, des factures, des disques durs. En envoyant un petit dossier à la région en mai dernier, je ne pensais pas avoir poussé une si belle porte. Bien sûr, je ne vais pas travailler avec Donzelli et Depardon, je ne monterai pas les marches à Cannes, je ne serai pas invitée chez Denisot. Mais je vais rencontrer des gens, être soutenue, faire un peu plus grand que ce que j'avais imaginé. Pas mal plus grand même. Travailler en équipe, rendre un hommage à la hauteur, réaliser mon premier film.

15/06/2011

Si tu suis mon regard, tu verras des plaines.


9h22. Je suis en avance. J'entre dans l'hôtel, on m'indique le chambre 215 sur ma droite. Je monte. 
Je suis consciencieusement les lignes tracées sur la moquette bleu marine et grise. Ce n'est pas encore l'heure, je pose mes sacs sur l'une des chaises du couloir, je ne m'assois pas, je marche. 

Pourtant je n'étais pas plus stressée que ça, rencontrer des gens. Parler d'un projet, ça me fait plaisir, je ne réalise pas bien l'enjeu. Et puis à 5h du matin les yeux grands ouverts. Je ne dormais plus, je ressassais dans ma tête la tenue que j'avais repassée, l'ordre des choses à dire, les points importants. Et si je n'avais pas assez relu, et s'ils me posaient des questions auxquelles je ne savais pas quoi répondre. Et si je loupais le réveil, si je me trompais de chemin, si finalement c'était une farce, ni on était mille deux-cents, si je vomissais sur la moquette, s'ils me détestaient au premier regard.

Ils sont nombreux, quatre à droite, quatre à gauche, quatre en face. Je souris je dis "oula" avec l'air emprunté de celle qui veut faire naturel mais qui du coup en fait un peu trop. Il y a des mini-viennoiseries et du jus d'orange. C'est peut-être la première fois que je parviens à résister à un petit pain au chocolat ou à cette minuscule brioche avec des gros morceaux de sucre. Chacun se présente, je crois retenir les noms, les fonctions de chacun. Quatre sont là pour écouter seulement, quatre sont là pour juger, il y a la dame de la région avec qui j'ai déjà communiqué par mail, et un stagiaire. Il doit y avoir aussi deux autres personnes mais je ne sais plus. J'explique le projet, ils ont tous lu le dossier, ils le feuillettent pendant que je parle, certains l'ont annoté. Ce n'est plus que moi. C'est moi et douze personnes qui ont lu mon projet, qui s'y intéressent, qui ont des questions. 
A un moment je dis que ça ne doit pas être glauque, que je ne veux pas faire de misérabilisme. Oh le pauvre petit boucher de campagne qui est la seule personne que des vieux de 92 ans seuls voient dans leur semaine. Tous ces petit métiers qui disparaissent et si c'est pas malheureux. Je sens que l'œil de mon juge d'en face ternit. Et alors quoi, je ne vais filmer que ce qui est beau, que ce qui m'arrange ? Non. C'est parce que ce serait trop facile d'aller uniquement vers ça. Trop facile les petites grands-mères qui diraient "vous savez, nous, personne ne vient plus nous voir".  Trop facile de montrer la camionnette sur les routes de campagne, même quand il pleut, même quand il neige et qu'on ne va vendre que 2 tranches de jambon qui ne rembourseront même pas l'essence. 
Ce n'est pas une histoire triste. 
C'est une histoire digne.
C'est la passion d'un métier, des gens, du commerce, un air de campagne. Il faut ressortir ce qui est beau, ce qui est profondément humain, ce qui donne chaud. Le challenge est là. Comment montrer ça, vous voyez, il se tient bien droit, il fait son métier, on voit des gens, on parle, tout ça donne une force incroyable. Et puis il y a les souvenirs. Le juge a compris. Les autres aussi je crois. Ca passe vite quinze minutes. Je me lève, je reprends mes sacs. Je leur laisse un petit livre qui contient des photos et des extraits de dialogue avec mon oncle que j'ai retranscrit. Ils doivent me rappeler à la fin de la semaine suivante pour me donner la décision finale. 

La dame de la région m'appelle le lendemain matin. Ca a marché, j'ai la subvention pour l'aide à l'écriture. Je l'ai-je l'ai-je l'ai. J'appelle ma mère. Mon père. Dimitri. Christian. J'ai envie d'appeler même ceux qui ne sont pas au courant.

06/04/2011

Marguerite



Sur la cheminée on voit de vieilles photos en noir et blanc d'une jeune femme et d'un officier. Elle est très belle. C'est elle, Marguerite, avant qu'elle n'ait 98 ans. Il fait sombre. Des cinq caisses remplies de litières pour chat réparties un peu partout dans la maison émane une odeur lourde, qui prend à la gorge. Elle dit Ah c'est vous, merci pour le journal. Elle dit qu'elle n'a pas besoin de viande aujourd'hui, qu'elle n'a déjà pas fini ce qu'elle a acheté la semaine dernière. Oh et puis elle ne se souvient plus, il faut regarder dans le frigo s'il lui reste quelque chose. Elle vide son petit porte-monnaie en cuir, dans lequel il n'y a plus qu'une dizaine de ces pièces de cuivre de 1 et 2 centimes. Ca ne va pas être assez pour payer le journal, je vais vous faire un chèque. Christian dit que pour 60 centimes, on ne va peut-être pas faire un chèque, il va le noter sur un petit papier là coincé dans le cadre du miroir, pour la prochaine fois. Elle dit que la semaine suivante elle ne sera sûrement pas là, qu'elle doit remonter à Paris, qu'elle a une réunion du syndic pour son appartement dans le 16e arrondissement. Elle dit que c'est quand même un peu exagéré de faire venir jusqu'à Paris une femme de 98 ans pour une réunion, mais qu'elle va y aller quand même, qu'il faut bien s'en occuper. Je demande si je peux prendre une photographie d'elle avec mon oncle, là dehors, devant ses fleurs jaunes, comme il fait beau. Elle dit non, et puis oui, mais qu'il faut qu'elle se recoiffe. Elle attrape sa brosse blanche sur le guéridon près de la porte d'entrée, et se peigne vigoureusement en plaquant bien ses cheveux avec sa main une fois que la brosse est passée dedans. Christian lui tient le bras jusqu'au parterre de fleurs. Elle dit quand même, à 98 ans, se faire prendre en photo comme ça. Elle dit vous savez j'étais jolie, c'était moi en photo sur la cheminée. Mon mari était le plus grand industriel de France. Je dis merci, merci beaucoup madame. Je le dis plus fort parce que je vois bien qu'elle n'a pas entendu, il faut qu'elle me regarde, qu'elle voit que je bouge les lèvres. Je lui demande et vous, c'est quoi votre prénom. Marguerite. C'est joli Marguerite. Elle va nous prendre trois rillons finalement, pour nous faire plaisir, il est si gentil votre oncle vous savez mademoiselle. 


On remonte dans le camion, je fais au-revoir par la vitre avec ma main. Je trouve qu'elle est adorable, que les gens sont si gentils. Je trouve que c'est fou d'être comme ça à 98 ans, je crois que c'est la plus vieille personne que je n'ai jamais rencontrée. Je ne comprends pas comment à la fois elle peut vivre dans ce taudis, sombre, qui soulève le cœur, comme si elle ne s'en rendait pas compte, et en même temps nous parler tout naturellement de Paris, prendre le train, aller à une réunion du syndic. Mais tu n'as pas compris ? Elle sera là la semaine prochaine, elle ne va pas à Paris, il y a bien longtemps qu'elle ne va plus à Paris, qu'elle n'a plus cet appartement. Toutes les semaines elle me dit qu'elle y retourne, et toutes les semaine je la trouve dans son fauteuil, avec les chats.

24/03/2011

Et la fin du mois de mars













J'ai fait une pause. Une semaine. Je suis remontée à Paris, j'ai vu mes amis, j'ai pensé à autre chose. Et puis je suis revenue pour plus longtemps. Cette fois-ci c'est plus compliqué, j'ai du travail à faire à côté, je ne suis plus toute seule, mon frère, ma mère sont là. Malgré moi ça devient réellement une histoire de famille.
Je mets quelques jours, presque une semaine finalement, à me remettre dans le projet. Je regarde les rushes de la première session, j'écoute, je note. Il y a encore tellement de travail. Esthétiquement, je sais vers quoi je veux aller. A peu près. Alors il faut le faire. Et que ça aille avec le fond, que le fond soit précis, carré, que je sache, toujours, toujours, où je vais et pourquoi je fais ça. Parfois j'oublie. 
Cet après-midi Christian m'a appelée "Je vais faire cuire des rillettes, ce n'est pas forcément intéressant en soi à filmer, des rillettes, mais ça fait partie des choses qui ne se feront plus. Faire cuire dans l'ancien four de famille, pendant cinq heures, ça m'étonnerait que le successeur continue ça (rires entrainement un toussotement sec)".
Il le sait, où je vais et pourquoi je fais ça lui. Il faut que je travaille. Maintenant ça compte, c'est devenu important pour d'autres que moi. Je veux que ça soit bien, je veux que ça fonctionne. Qu'il n'ait pas cru pour rien, qu'ils n'ait pas l'impression qu'il ne m'intéresse plus. Ce soir je vais filmer le cor de chasse. Quatre mecs dans un petit gymnase de village, avec des agrès au mur et des tatamis. qui soufflent dans des trompes. Godard prends garde, me voilà et je vais tout déchirer.
J'ai pris ces deux photographies de Danièle, la femme de Christian, le deuxième soir où je suis arrivée. Elle se reflétait dans les photos de famille qu'elle accroche partout. Elle résumait mon film.


ps : merci à tous, je ne sais pas où je vas parvenir à emmener ce projet, mais c'est fou de se sentir comme ça soutenue, épaulée, encouragée. Merci Dim, Pia, Thibault, Pauline, Caroline, Aurélie, Céline, Deplhine, Hélène, Jo... Il y aurait trop de gens à décevoir pour que je me permette de rater :)

11/03/2011

Archives. Pourquoi je fais tout ça.








Réaliser une expérience filmique humble et sincère. Voilà l’objectif que je me suis fixé au départ de ce projet. Christian fait partie de ceux dont le charisme force le respect. Son physique impressionne avant même que sa voix grave et forte ne s’exprime. C’est vraiment de lui qu’il s’agit. En faire un portait honnête, tenter d’enregistrer sa singularité, et la donner à voir. Bien entendu c’est un portrait complètement subjectif. Le but n’est pas de montrer avec neutralité le quotidien d’un artisan de campagne. C’est notre relation, et le regard très particulier qu’elle me fait poser sur lui qui fonde le film, et lui donne son caractère unique. 

Ces derniers jours j'ai filmé tout ce qui passait devant moi. Pour essayer, pour voir, parce que ce n'est pas trop difficile. Et puis j'ai fait une pause, je regardé les images que je suis parvenue à faire depuis lundi. Il faut maintenant que je me souvienne pourquoi je fais ça. Parce que ça vient de loin, parce qu'il s'agit de racines, de souvenirs, de patrimoine familial. Et parce que ça va bientôt finir. La raison du projet est là, il va falloir gratter un peu, il va falloir commencer le travail.